samedi 9 octobre 2010

Neuromarketing - Le Film

L'année dernière Laurence Serfaty a réalisé un documentaire de 52 minutes sur le neuromarketing qui a été produit par Alto Media. Le film intitulé "Neuromarketing: des citoyens sous influence" a été présenté en avant première en février à Paris et diffusé le 26 mai dernier sur Canal +, et dans de nombreux pays depuis.

La bonne nouvelle (pour  la production et la réalisatrice) est que le film vient d'être sélectionné au Festival International du Film Scientifique ParisScience et se trouve en compétition pour un prix. Il a été diffusé dans le Grand Amphi du Museum National d'Histoire Naturelle le samedi 9 (programme ici). La séance a été suivie d'un débat avec Laurence Serfaty, Hervé Chneiweiss et Jean-Michel Besnier. Le documentaire est disponible en ligne en trois parties que vous pouvez voir ci-dessous (une idscussion sur le neuromarketing suit) :



Il est possible (pour l'instant) de voir et de télécharger le documentaire dans son intégralité ici.





L'équipe du tournage a fait le tour du monde pour rencontrer certains des acteurs majeurs des neurosciences du consommateur et du neuromarketing au niveau académique et du secteur privé :

Brian Knutson de l'Université de Stanford qui a notamment publié un des premiers articles scientifiques dans lequel la décision d'achat des consommateurs est prédite grâce à l'imagerie cérébrale (version pdf ici)

Fabio Babiloni de l'Université Sapienza à Rome spécialiste de l'électroéncéphalographie (voir dans le film)  qui a publié l'ouvrage de référence en Italie sur le sujet et un article scientifique sur les réactions du cerveau face quand nous regardons des publicités à la télévision;

Gemma Calvert qui a soutenu l'une des première thèse de neuroimagerie à Oxford en 1997 et a fondé dans la foulée Neurosense la plus ancienne société de neuromarketing au monde. Calvert a aussi publié la bible des neurosciences de l'intégration multisensorielle (i.e. comment le cerveau coordonne toutes les informations qu'il reçoit par les différents canaux: vision, audition, olfaction, gustation, toucher, proprioception; voir ici).

Martin Lindstrom, auteur du bestseller Buy-ology. J'adore le titre mais je suis moins convaincu par le bouquin qui est agréable et divertissant à lire mais sur-vend et sur-interprète à fond les les résultats d'expériences de neurosciences qui ont été menées (par Calvert qui est beaucoup plus mesurée quand elle en parle).

Et puis il y a des sociétés dites de neuromarketing qui ont l'air de faire un concours à qui racontera le truc le plus hallucinant. Du grand n'importe quoi tant au niveau des neurosciences mais aussi du reste parfois. Et au grand jeu du neuromarketing, les Français ne sont pas en reste, comme vous pourrez le voir.

Du côté des grands moments, le passage sur le pauvre Monsieur Gates est un pur instant de surréalisme que même Ionesco n'aurait pas tenté et qui a eu, à juste titre, les honneurs du zapping de Canal +. Il faut toutefois reconnaitre aux neuromarketers une conviction qui fait rêver et qui montre leur réel talent dans la pratique du marketing ... au moins pour se vendre eux -mêmes.

Parce qu'il faut être clair, je l'ai déjà dit et écrit à maintes reprises, la vraie grande force du neuromarketing est de s'être vendu lui-même ou auto-markété si vous préférez. Pour le reste, si les spécialistes auto-proclamés du neuromarketing arrivent à booster des campagnes de pub c'est plus grâce à leur talent manifeste de marketers dont je ne doute pas que grâce à leur (mé)connaissances des sciences du cerveau.

Pour en revenir au film, l'équipe de tournage a même fait un stop par Marseille pour filmer nos expériences de neuroéconomie de la confiance et un cours dans lequel nous présentons comment les informations environnantes biaisent nos systèmes sensoriels. Il reste tune série de questions et de réponses. Vous pourrez voir que ça balance un peu...

Au final le documentaire est bien rythmé parce qu'il y a des coupes avec des images d'archives (vieilles pubs marrantes, à la fois décalées et pertinentes) et une animation super bien faite qui casse le côté trop scientifique/ennuyeux de la majorité des documentaires "scientifiques" et de notre discours qui est vite barbant pour les personnes qui ne sont pas dans le trip.

Les gens qui ne sont pas familiers avec les neurosciences mais ont entendu parler du neuromarketing dans les médias pourront faire la différence entre ceux qui font des neurosciences dans les labos et savent un minimum de quoi ils parlent et puis ceux qui surfent sur la vague de l'attrait pour les images du cerveau etc non sans un certain succès. Merci à la réalisation. Pour l'anecdote, la société de neuromarketing dont le dirigeant tient des propos qui sont soit hilarants, soit effrayants (cela dépend de la perspective que vous prenez) vient de commettre un rap digne de Saturday Night Live que je vous laisse découvrir ici.

Pour ceux qui vendent du "neuro" sans en faire ou en racontant n'importe quoi du point du vue scientifique ce doc est aussi une bonne pub. Leur nom est associé à certaines stars américaines, anglaises ou italiennes des neurosciences. Cela leur permet de faire du name dropping sur leurs sites ou en conférences : "Nous avons récemment participé à un programme très sérieux sur le neuromarketing avec le Prof X ou Y", si ce n'est que X ou Y n'ont jamais rien voulu avoir à faire avec eux malgré les nombreuses tentatives pour acheter leurs services afin d'avoir un peu de crédibilité scientifique.

Le coup du cerveau reptilien, on est d'accord c'est n'importe quoi du point de vue fonctionnel (il suffit de prendre quelques articles de neurosciences au hasard qui montrent, par exemple que le cortex préfrontal échange de l'information avec le circuit de la récompense par exemple (exemple ici et illustration ici) pour démonter l'idée simpliste mais géniale du point de vue marketing que le cerveau aurait trois couches fonctionnelles qui détermineraient nos choix, décisions et autres actions. Mais la palme ne revient pas aux fanatiques du cerveau reptilien (qui soit dit en passant est une trouvaille marketing efficace pour caser du neuromarketing à ceux qui ne comprennent pas ce dont il s'agit).

Le top du n'importe quoi ce sont les trois mesures simples de l'émotion de l'attention et de la mémoire. S'il était aussi simple de décoder le cerveau, cela ferait un moment que l'on aurait utilisé ces techniques pour comprendre et soigner certaines pathologies. Et s'il était aussi simple de résumer l'activité du cerveau, et bien notre cerveau ne nous permettrait pas de faire tous ces trucs géniaux (ou affreux) que nous faisons en grande partie grâce à lui. Je m'explique: si le cerveau était un organe (en fait c'est plus un système) dont le fonctionnement est si ridiculement simple qu'il peut être résumé et prédit à l'aide de trois mesures, et bien ce cerveau si simple ne nous permettrait pas de parler de réfléchir ou de lire ce post jusqu'au bout. Donc la complexité du cerveau c'est quand même notre grande chance en tant qu'humains (et le gros problème du neuromarketing) !

Au final, quoi de neuf dans le monde du neuromarketing ? Pas grand chose. Plus d'argent dans ce business, c'est une évidence. Plus de sociétés qui proposent de tels services. Aujourd'hui on en dénombre plus de 100 au monde. Ce business  est florissant. Plus de gens sérieux qui s'intéressent aux neurosciences du consommateur (dans le public comme dans le privé), mais aussi beaucoup plus de clowns.

Il manque cependant deux aspects importants qui auraient mérité un peu d'attention.

Le premier est le fait que les neurosciences du consommateur sont en train de s'établir dans le monde académique, avec une prudence et une rigueur qui sont bien supérieures à celle du secteur privé. Certains leaders sont toutefois interviewés (Knutson, Babiloni).

L'autre est lié. Il s'agit du fait que ces neurosciences du consommateur nous permettrons peut-être de mieux comprendre pourquoi certaines campagnes de prévention en santé publique ne fonctionnent pas . Et je dis bien pourquoi elle ne fonctionnement pas et non qu'elles pourraient permettre de trouver la recette miracle  La nuance est grande. Pour ceux que tout ceci intéresse vous trouverez ici un ouvrage disponible à la Documentation Française ou en téléchargement gratuit au format pdf ici. Il s'agit d'un rapport intitutlé "Nouvelles approches de la prévention en santé publique: l'apport des sciences comportementales cognitives et des neurosciences" produit par le Département Questions sociales du Centre d'analyse stratégique. 

Dans le rapport vous trouverez notamment des résultats de la société Mediamento, qui ne prétend pas faire de neuromarketing et ce même si Dorothée Rieu, la fondatrice et directrice de cette agence est diplômée en neurosciences, elle, ce qui n'est pas le cas de tous les acteurs du neuromarketing, loin s'en faut ! Mediamento montre grâce à l'eye tracking (l'enregistrement de la trajectoire et donc des points de fixation des yeux) que les gens ne lisent pas les bandeaux sanitaires qui se trouvent sous les publicités agro-alimentaires pour les produits gras et sucrés (lire le chapitre 5 ici).

La première partie du rapport propose aussi des introductions aux neurosciences du consommateur et au concept de nudge (le chapitre est co-signé  avec Richard Thaler, l'un des co-auteurs de Nudge et Robert Cialdini, la star mondiale de la psychologie sociale). Deux exemples sont traités de manières extensive : la lutte contre l'obésité et contre le tabagisme.

Il y a aussi un chapitre de Frédéric Basso traitant de ses travaux sur les dangers de l'esthétisation des produits domestiques qui entraîne des intoxications alimentaires (en gros pourquoi il est dangereux que votre bouteille de shampoing ressemble à une bouteille de boisson). Cliquer ici pour voir un poster/B.D. terrible de ses recherches.

Certains diront que d'un côté je suis critique envers le neuromarketing en disant que cela ne marche pas,  et que de l'autre je propose une utilisation des sciences comportementales dans les campagnes de prévention en santé publique. Alors pour conclure, et clarifier, voici un petit rappel.

Ce qui me gène avec le neuromarketing ce sont les sur-interprétations de données de neuroimagerie qui sont faites. Sous prétexte que l'on montre deux tâches rouges sur des résultats d'IRM fonctionnelle, on nous dit que telle aire du cerveau sert à décider d'acheter telle voiture ou, comme dans le film,  que l'électro-encéphalogramme permet de quantifier l'émotion, la mémoire et l'attention. Ce sont des propos erronés, des raccourcis réductionnistes voire dangereux pour les neurosciences, mais, rassurez-vous, pas pour les consommateurs. Pour l'instant, les vraies victimes du neuromarketing ne sont pas les consommateurs mais les sociétés qui se font berner et se voient surfacturer des campagnes de marketing classiques "enrobées"ou vernies d'images de cerveau en trois dimensions sur-interprétées.  Des victimes collatérales pourraient être les scientifiques eux-mêmes si le grand public commence à penser que les IRMf servent à ne faire vendre que du soda !

Il n'en reste pas moins que nombre des outils du marketing classique sont obsolètes, notamment biaisés par la verbalisation. De fait, il existe une fenêtre pour de nouvelles directions à explorer. Mais aujourd'hui, la psychologie sociale et les sciences cognitives ont des résultats plus probants et plus applicables que la neuroimagerie. Après demain par contre ... qui sait ?

Une approche qui prendrait en compte la psychologie, la sociologie, les sciences cognitives, le comportement du consommateur, l'économie comportementale et et les neurosciences sociales aura certainement beaucoup à nous apprendre sur le comportement et la prise décision. Et si des résultats sont obtenus, la prévention en santé publique ne pourra faire l'économie de considérer ces avancées.

J'attends vos commentaires.





1 commentaire:

Bozzo a dit…

Les gens de neurofocus sont une catastrophe à eux tout seul.